Je me rendis un jour, à Cordoue, chez le cadi Abû
l-Walîd Ibn Rushd [Averroès]; ayant entendu parler
de l'illumination que Dieu m'avait octroyée, il s'était
montré surpris et avait émis le souhait de me rencontrer.
Mon père, qui était l'un de ses amis, me dépêcha
chez lui sous un prétexte quelconque. A cette époque
j'étais un jeune garçon sans duvet sur le visage
et sans même de moustache. Lorsque je fus introduit, il
[Averroès] se leva de sa place, manifesta son affection
et sa considération, et m'embrassa. Puis il me dit: "
Oui. " A mon tour, je dis: " Oui. " Sa joie s'accrut
en voyant que je l'avais compris. Cependant, lorsque je réalisai
ce qui avait motivé sa joie, j'ajoutai: " Non. "
Il se contracta, perdit ses couleurs, et fus pris d'un doute:
" Qu'avez-vous donc trouvé par le dévoilement
et l'inspiration divine ? Est-ce identique à ce que nous
donne la réflexion spéculative ? " Je répondis:
" Oui et non; entre le oui et le non, les esprits prennent
leur envol, et les nuques se détachent ! "
Ibn Arabî, Futuhât, I, p. 153-154.
Ibn Arabî et le voyage sans retour |
Extraits de Ibn Arabî et le voyage sans retour de Claude Addas. Paris, Seuil, 1996.