Soufisme et Art visuel

iconographie du sacré
par Shaker Laibi
(Paris, L'Harmattan, 1998)
[Extraits]
Shaker Laibi, écrivain, poète et peintre
né en Irak en 1956, a écrit plusieurs livres et
articles dont L'Orient féminisé. Il vit
à Genève et termine actuellement un doctorat à
l'université de Lausanne en sociologie de l'art ayant
pour sujet L'approche sociologique de l'anonymat de l'artiste
dans l'art islamique.
Le marginal et l'institutionnel
dans l'art islamique
Art religieux et art sacré
Il est supposé que la formation d'une quelconque iconographie
ne repose pas uniquement sur les faits connus et affichés,
mais aussi sur les phénomènes de marginalité
et d'exclusion.
L'ambition des pages suivantes est de réhabiliter ce
qui est écarté de l'art islamique. Le contexte
encadrant celui-ci n'accorde que peu d'attention au travail visuel.
Les détails, les petites touches n'étaient pas
toujours, paraît-il, une préoccupation permanente.
Au lieu d'avancer dans les recherches visuelles, les faiseurs
d'objets, les artisans et les théoriciens de cette culture
se figeaient devant leurs performances et leur iconographie accomplie.
Dans certains domaines, l'exclu de la culture et de l'histoire
islamiques est parfois plus important que les faits institutionnalisés,
particulièrement dans les arts plastiques.
Ce qui était oublié dans l'histoire de l'art
islamique est aussi l'histoire de cet art.
Il existe une négligence généralisée
qui surplombait les valeurs de petits morceaux construisant la
globalité de la mosaïque culturelle. Ainsi on n'examinerait
pas, par exemple, les couleurs d'un point de vue plastique (car
chose faite d'un point de vue optique) bien qu'elles soient porteuses,
même physiquement, de la philosophie de cet art. Les auteurs
classiques comme les chercheurs actuels sont parvenus, à
des degrés différents, à mettre à
l'écart le sujet chromatique en tant que tel. Les anciens
traités sont très fragmentés et ne donnent
que des approches vagues de la conception de leur époque
sur les couleurs. Al-Fahrist, un répertoire des ouvrages
qui ont été écrits en Islam depuis son début
jusqu'à la vie d'Ibn Al-Nadim 1 l'auteur du répertoire, indique les
titres de quelques livres qui ont été consacrés
entièrement, semble-t-il, aux couleurs, tels que : Kitab
Al-Luma Fi AI-Alwan (Le Livre des lustres sur les couleurs
) d'un certain Al-Nimrî, Un traité sur les teintures
qui donnent des couleurs d'Al-Kindi, Kitab AI-Alwan (Le
Livre des couleurs) de Hounain Ibn Ishaq, Kitab A1-Asbagh
(Le livres des colorants) et Kitab AI-Sibgh al-ahmâr
(Le Livre du colorant rouge) de Jabir Ibn Haiân et
Kitab Jami' a'mal al-asbâgh w-aI-midâd w-aI-hibr
(Le Livre de la fabrication des colorants, de l'huile et
de l'encre) d'un certain Doubays. Les philosophes de l'islam
abordaient le même sujet à partir des arguments
logiques et de son rapport avec les phénomènes
naturels.
En règle générale, les couleurs ont été
un peu marginalisées. Si elles représentent un
principe fondamental de tout art, elles jouent un rôle
déterminant dans la spéculation soufie islamique
comme nous le verrons dans ce livre.
L'art islamique, en somme, à la façade religieuse
et idéale, s'installe sur l'exclusion de ce qu'il estime
secondaire commençant par la figure humaine, en passant
par le rejet de toute représentation de la réalité
objective, en faveur de la seule et vraie réalité
pour lui : celle de l'invisible.
Le grand paradoxe de l'art islamique réside dans son
souhait de représenter une réalité qui se
situe en dehors du réel visible et son insistance pour
le démontrer par ses propres moyens. Son problème
est de représenter une réalité qui
n'est pas à portée de vue.
Paradoxe venant de cette différenciation radicale entre
"vue" et " clairvoyance" que révèle
la langue arabe en supposant deux termes opposés, sans
tenir compte de leur corrélation, et accentuée
au cours de l'histoire de cet art. Le premier est l'oeil et le
second "l'oeil de l'âme", termes qui sont irréconciliables
pour cette langue.
Par l'exclusion du réel de l'art, l'astuce géométrique
éveille les ombres et ce qui reste caché à
l'intérieur du réel; elle accomplit historiquement
des oeuvres célèbres, "supérieures"
dans cet art : l'abstraction islamique, connue également
sous le nom d'arabesque qui ne sera pas, à son tour, à
l'abri de la modification en plusieurs degrés par la suite.
Cette trouvaille de l'abstraction n'était pas
la seule pratique picturale dans la vie culturelle. Celle-ci
n'obéissait pas à la règle du jeu. Dans
les miniatures, les tapisseries, les broderies, les poteries,
etc., la représentation figurative a été
permanente.
Nous insistons, en partie, sur l'existence d'un autre genre
artistique, qui se distingue du phénomène pictural
prédominant, par sa nature graphique et chromatique, par
l'élan de ses formes et les sources philosophiques qui
le nourrissent.
Voilà notre thèse : il y a une iconographie
parallèle à celle bien connue qu'on appelle l'art
islamique. Ses caractéristiques émergent d'une
pensée mystique, ésotérique s'opposant à
l'art officiel moins mystique, tout en ayant un lien commun avec
lui. Nous l'appelons iconographie du sacré car
elle se rapporte au soufisme par comparaison avec l'autre appartenant
à une vision religieuse.
La différence va toucher le support lui-même
qui fait paraître les motifs et les formes. Si l'art islamique
utilisait les murs, les coupoles, les miniatures, les métaux,
les bois et d'autres supports, la nôtre utilise principalement
le talisman : (parchemins et papiers) comme support. Cette
différence est de nature sémiologique ; bien qu'un
support soit la condition primordiale et matérielle du
travail visuel, il a, en même temps, une relation intime
avec son contenu. Pour accomplir son oeuvre, il faut choisir,
initialement, la surface convenable à ses besoins ; une
toile pour son pinceau, une feuille pour sa plume ou un mur de
caverne pour son couteau primitif. Ce choix n'est pas innocent;
il est en rapport avec la signification de l'oeuvre.
Mais qu'est-ce qu'un support?
"toute surface permettant de réaliser une oeuvre
picturale", "c'est un terme désignant le subjectile
préparé pour la peinture", "exemples
: toile, panneau, papier, carton, mur, etc.". "Le bristol,
l'ivoirine, peuvent aussi donner de bons supports","élément
concret, matériel, qui sert de base à une oeuvre
graphique". Si ces définitions proposées par
les manuels sont justes, le talisman oriental paraît très
adaptable à leurs signifiés (et tout ce qu'ils
entraînent) puisqu'il s'agit, selon les prescriptions de
fabrication et la pratique courante, de papier retravaillé,
façonné et dessiné dans la plupart des cas.
Notons, en passant, que les papiers servant de support sont éphémères;
ils ne résistent guère au temps.
Nous trouvons également des talismans fabriqués
pour une autre catégorie de gens, riches ceux-là.
Ce sont les tablettes en argent, en plomb et en cuivre, ou des
talismans gravés sur des gemmes telles la calcédoine,
l'agate, la sardoine, le jaspe vert, la néphrite, la serpentine
et l'hématite2.
Parlant des besoins, on n'évoque pas seulement des
besoins purement esthétiques mais aussi ceux qui dissimulent
toute relation entre l'oeuvre et son environnement. Le support
décrit à sa manière quelques aspects culturels,
philosophiques et sociaux de l'oeuvre. Il n'était jamais
une matière neutre : en plus de sa qualité de médium,
c'est un révélateur.
Un support pictural et graphique est aussi un support culturel
et philosophique. S'il est vrai qu'il y a un rapport entre la
magie et l'art, le talisman le prouve et l'accentue puisqu'il
"porte" littéralement cette magie dérivée,
dans notre cas, vers l'ésotérisme.
Le support talismanique affiche une activité graphique
(dessins, gravures) basée sur des formes et des figures
symboliques. Un talisman se réalise souvent sur une feuille
enroulée ou pliée (ou sur des tablettes métalliques)
qui sera portée de manière invisible. Nous prétendons
qu'un talisman de ce genre a une qualité plastique
autant qu'une valeur gnostique, car il a su, pour
un oeil préoccupé par le visuel, échapper
au culte du beau.
Il sera traité plutôt comme étant un support
semblable à d'autres supports parus dans l'histoire de
l'art, et particulièrement dans l'art islamique.
Le talisman devenu support d'expressions artistiques soufies
est un bon prétexte qui amène à réexaminer
le concept général de support, son évolution
dans le temps et ses divers usages. Remarquons que la nature
matérielle du support subit des mutations selon le fonctionnement
de l'oeuvre, son message et ses récepteurs. L'homme n'a
utilisé pendant longtemps que les murs, les coupoles et
les vitraux comme supports principaux considérés,
d'une part, parce qu'aggissant directement dans l'espace, c'est-à-dire
avec les gens qui fréquentent ces lieux, et d'autre part,
les dimensions des supports variaient à leur tour selon
ce même fonctionnement ; les miniatures seront de petits
formats puisqu'elles doivent être faciles à transporter,
tandis que les peintures murales seront de grands formats car
destinées à s'adresser à un large public.
Au cours de l'histoire, les changements successifs auxquels se
soumettent les supports avaient conduit à oublier toutes
les leçons concernant la texture, la dimension et le format
des supports pour prendre en considération la toile seulement
(le tableau réalisé en toile) comme étant
l'unique support digne du vrai art, puis d'une pratique valable
de l'art. Les talismans en tant que travaux graphiques répondent
à des concepts et des besoins spirituels ; d'où
leurs petits formats, leurs symboles et leurs modes spécifiques
de fabrication.
Une des critiques envers l'art islamique est la méconnaissance
du tableau. Ce point de vue ne vise pas uniquement le champ proprement
artistique, mais il suppose un défaut dans la nature relationnelle
de cet art, sur son rôle et son rapport avec ses récepteurs.
En vérité, la toile est une invention tardive dans
l'histoire générale de l'art ; elle se présentait
bizarrement comme une réponse économique. En Europe
du VIe au VIIIe siècle, et même jusqu'à Giotto
(1276-1337), la peinture, dans le sens connu actuellement, n'existe
pas ; la représentation de la figure humaine était
schématique, disproportionnée, irréelle
ou brute. "A cette époque, écrit le
sociologue Harnold Hauser, personne n'est capable de peindre
une figure humaine"3.
On peignait surtout sur des panneaux de bois et des murs et
ce jusqu'au Xlle siècle qui a vu un épanouissement
économique ; le commerce donne naissance à une
nouvelle bourgeoisie et les artistes ne travaillent plus exclusivement
dans les églises, l'époque de la toile était
arrivée, support léger et pliable, donc objet d'une
vaste commercialisation.
En l'occurrence, l'usage socioculturel de supports est étroitement
lié à l'art islamique. Cet art connaissait des
supports différents apparaissant en réponse à
divers besoins. Le mot (support) n'est pas utilisé ici
métaphoriquement. Le talisman est une surface picturale,
si petite soit-elle, qui manifeste à la fois l'esthétique
d'un art abstrait et sa méthode de travail au service
d'une certaine pensée.
Les talismans sont des émanations d'un art qui se trouve,
à la fois, dirigé par la géométrie
marquant tout un monde et par une légère insubordination
aux traditions établies auparavant. Dans la mesure où
les signes, les symboles et l'écriture permettaient de
recréer des expressions nouvelles, le talisman s'élevait
comme une "forme d'art" différente définie
par les mêmes signes. Nous savons que les talismans existaient
déjà chez les Chaldéens, les Grecs, les
Juifs4 et les Latins, mais le talisman
aux signes islamiques établit une rupture par accumulation
d'effets spécifiques. On ne trouve rien, sauf peut-être
par hasard, de similaire dans les cultures précédentes.
Il devient l'expression d'une marginalité plastique au
sein de l'art islamique. Autrement dit, le pictogramme talismanique
est une formule unique et bien adaptée à une iconographie
du sacré, et paradoxalement une formule marginalisée.
Nous voulons la faire paraître comme une couche refoulée,
une valeur méconnue de l'art dit islamique. Dans notre
essai, le talisman prend un chemin à lui en se convertissant
à l'art, et il faut l'examiner comme un élément
de celui-ci.
Quels sont alors les traits qui différencient ce talisman
des autres talismans pour qu'il soit un corpus plastique?
Chez les Anciens, une idée, un objet et un espace sacralisés
se visualisaient par des signes et des figures qui leur conféraient
des valeurs hiératiques dans l'usage individuel et collectif.
Ils prenaient un aspect rituel et devenaient vénérables.
Ou alors, ils prenaient des sens symboliques, une valeur d'indice
et de refuge spirituel. Le signe de la Croix témoigne
dans la culture chrétienne de la vivacité du signe
visuel, parmi la multitude de signes de nombreux peuples. La
"figure" donc, dans ce genre de réflexion, est
la première visualisation effectuée, la première
oeuvre plastique après l'écriture/hiérogramme
et cunéiforme de l'enfance de l'humanité qui s'exprimait
essentiellement graphiquement. La distance est significative
entre la hiérographie en tant que système phonétique
visualisé et le signe visuel en tant que système
global, entre la nécessité de communiquer, de conserver
la mémoire collective et de transmettre un message, d'une
part, et le dépassement de ces tâches directes et
le travail dans la sphère du plaisir visuel pur ayant
un titre plus subtil, une qualité d'art herméneutique,
d'autre part.
Dans ce sens, l'icône lance un système résolument
nouveau qui redonne aux choses une dimension métaphorique
; ses signifiés qui étaient religieux initialement
seront chargés par la suite d'autres sens. Avec son poids
entier, le concept d'Image soulève maintenant des
polémiques propres à l'image. Les civilisations
ont connu des icônes talismaniques dont certaines
sont proches de notre iconographie. La langue française
fournit plusieurs termes qui aident à définir ce
genre d'iconographie et qui opposent phonétique et pictographie.
L'idéogramme prend racine dans les signes visuels, comme
l'idéographie qui se définit comme un système
de signes visuels suggérant des objets réels. En
d'autres termes, la "géomancie" désigne
elle aussi "une divination par des points marqués
au hasard et réunis pour former des figures".
L'iconographie du talisman arabo-musulman passe par la même
configuration. Elle se transforme aussi bien grâce à
son alphabet qui apporte aux figures utilisées une nouvelle
importance que grâce à ses moyens de fonctionnement
qui se renouvellent en échappant à l'interdit de
la figuration franche, fuite qui l'amène aux confins du
"dessin". Les talismans étaient dans une certaine
mesure un abri et un prétexte pour commettre un interdit
: l'acte de dessiner. Ce paradoxe est fondamental puisque
ces formes-pictogrammes demeuraient jusque là marginales
dans la culture de l'Islam.
La pression du religieux ne permettait, dans la culture officielle
(mais non pas dans la vie quotidienne), que peu d'évasion
et d'aventures ; une raison qui explique la rareté relative
d'oeuvres figuratives. Le talisman est en quelque sorte une tentative
d'échapper à la règle religieuse qui exécrait
la figuration. La prédomination de l'abstrait vient directement
de la domination du sacré, devenu religieux, dans la conscience
culturelle dominante.
Le profane était méprisé et abandonné
et n'atteignait que peu de formes artistiques. En revanche, l'ascétisme,
cette expression plus subtile du sacré, trouvait sa formulation
dans l'arabesque. Cependant, tombés dans des formes populaires
d'expressions, présentes dans la vie quotidienne, ils
créaient leur propre champ vision, celle des figures talismaniques.
Dans son livre "Le sacré et le profane"5 Mircea Eliade définit le sacré
en énonçant directement : " [...] c'est qu'il
s'oppose au profane"6 le sacré
se manifeste toujours comme une réalité d'un tout
autre ordre que la réalité naturelle...."7.
Il ajoute : "l'opposition sacré-profane se traduit
souvent comme une opposition entre réel et irréel
ou le pseudoréel"8. Il attire l'attention
sur le fait que "le monde profane dans sa totalité,
le Cosmos totalement désacralisé, est une découverte
récente de l'esprit humain"9. Il explique notamment
qu'on "mesurera le précipice qui sépare les
deux modalités d'expérience, sacré et profane,
en lisant les développements sur l'espace sacré
et la construction rituelle de la demeure humaine, sur les variétés
de l'expérience religieuse du Temps, sur les rapports
de l'homme religieux avec la nature et le monde des outils, sur
la consécration de la vie même de l'homme et la
sacralité dont peuvent être chargées ses
fonctions vitales (nourritures, sexualité, travail, etc...)"10.
Le monde naturel qui renvoie à une valeur sacrée
sera touché par une possession; il sera ainsi habité
par des signes indiquant le sacré. Du monde profane, l'homo
religiosus continue à découvrir et faire jaillir
des symboles et des indications chargés de majesté,
de noblesse et de sacralité, pas seulement à travers
une pierre ordinaire à laquelle on aurait donné
un sens sublime comme la pierre noire musulmane ou le seuil de
l'église chrétienne, mais également par
l'instauration d'un système de signes, y compris la vision
qui nous intéresse ici.
Un des principaux biais par lesquels se révèle
le sacré est le visuel. Il invente son vocabulaire en
le faisant fonctionner d'une façon et par un mécanisme
singulier. Ce système nous passionne et nous aimerions
le réhabiliter en tant qu'iconographie spécifique
et même y voir plus qu'un travail graphique : le "dessin"
du sacré.
La différence éminente entre l'abstraction de
l'art islamique, déjà connue, et cette iconographie
s'exprime selon trois options :
1- L'iconographie qui nous occupe dans cet ouvrage, naît
dans l'esprit populaire le moins cultivé, dans la pratique
quasi quotidienne, dans la force de l'habitude et dans la mémoire
visuelle la plus large, face à l'érudition et la
subtilité de l'abstraction conçue par une élite.
D'où une opposition entre deux expressions : celle liée
aux grandes institutions, et l'autre venue du quotidien des gens.
2- Une différence stylistique très claire :
ces deux types d'art se rencontrent seulement pour exclure la
figuration. Le raffiné a déjà été
examiné mais le second n'est pas encore assez étudié.
Le premier abandonne complètement la figuration tandis
que le deuxième trace, au moins vaguement, des figures
animées; il est composé d'une géomancie
qui arrive finalement peu à peu à créer
sans réticence des figures humaines.
3- Cette iconographie est issue et se rapporte à une
autre tendance de la pensée : la pensée mystique.
Ce point sera rappelé souvent ici.
Avec le soufisme, nous retrouvons pour la première
fois des expressions graphiques, des pictogrammes, et même
des images qui côtoient la littérature. Le
soufisme annonce, entre autres, sa dissemblance avec la pensée
prédominante par son utilisation du "dessin".
Nous employons le mot "dessin" dans son sens graphique
contemporain : toute représentation d'objets sur une surface,
car il s'agit dans la plupart des cas d'une sorte de représentation
d'objets ou de simulacre d'objets. Les mystiques arabes étaient
soucieux de l'importance de leurs travaux graphiques et ils les
considéraient comme un prolongement de leurs idées.
Lorsqu'on lit Al-Hallaj, il nous dit sans jeu de métaphore
: "voici l'image de la vérité" en nous
renvoyant à un très sympathique dessin globalement
géométrique mais de nature autre que les dessins
scientifiques. Ce n'est pas le cas de cette "abstraction"
qui représente un besoin religieux. Les lecteurs percevront
la différence entre "sacré" et "religieux".
La conscience que les mystiques ont de leurs oeuvres accorde
à celles-ci une place extraordinaire. La pensée
mystique se caractérise, d'après nous, par deux
traits pouvant paraître contradictoires : d'un côté,
sa profondeur philosophique reconnaissable et de l'autre sa popularité
ultérieure, toutes deux n'étant pas toujours compatibles.
Car au moment où ces dessins sont puisés dans une
origine philosophique révoltée contre la pensée
orthodoxe et au moment où les mystiques étendent
une réflexion originale sur l'être et l'existence,
ces mêmes "dessins" pénètrent par
la vulgarisation et la banalisation du soufisme11
dans de larges couches sociales, et seront, de ce fait,
banalisés, voire même finalement rejetés.
Le soufisme lui-même a fait, tardivement, une rupture totale
d'avec le monde, au nom de sa supériorité sur ce
dernier. L'ésotérisme musulman a toujours été
porteur de son exotérisme.
Ces trois différenciations expliquent une fois de plus
la marginalisation que subit cette iconographie, c'est-à-dire
la marginalisation, dans la chronologie islamique, de
tous ces aspects de l'histoire sociale qui étaient vus
comme secondaires, infimes et sans importance (l'histoire des
femmes, des dialectes, la peinture, les minorités ethniques,
etc.). Cette iconographie est l'histoire artistique de ceux qui
n'en ont pas.
"L'abstraction raffinée" apparaît donc
comme si elle avait une force marquante par rapport à
"l'abstraction populaire". Elle semble d'accord avec
un islam pur, épuré, islam/rupture étymologique
et refus obstiné aussi bien de la personnification de
Dieu que de son image qui n'évoque, ni ne ressemble à
nulle image précédente. Dieu en islam ne peut être
représenté en aucune manière. L'islam prive
Dieu de toute Image et il ne sera comparable à nulle chose
vue, vécue ou touchée. On lit notamment dans le
Coran :
"Dis : "il est Dieu 12, unique
Dieu le Seul.
Il n'a pas engendré et n'a pas été
engendré. Personne n'est égal à lui"13.
L'abstraction nourrie par l'islam atteint une finalité
jamais saisie dans l'histoire des religions.
"L'abstraction populaire" semble s'accorder, quant
à elle, avec un sacré peu différent et plus
tolérant, car capable d'être incarné dans
des figures. Le sacré pourrait, en tout cas, transparaître
dans des symboles visuels cachant des signifiés qui sont,
pour un mystique ou un magicien, les formes mêmes du sacré,
les formes clandestines de celui-ci dans son âme qui ne
fait que s'émanciper. "L'image du monde" proposée
par Ibn Arabi, mentionnée aussi dans cet essai à
plusieurs reprises, peut, dans un système pareil, se réaliser
par un cercle, bien qu'elle soit irréalisable dans la
finesse de l'abstraction, elle apparaîtra camouflée
et encore trop abstraite.
Il ne s'agit pas de préférer l'un ou l'autre
type. Il est question seulement de réexaminer les aspects
qui correspondent aux conceptions de l'univers dans l'un et l'autre
type et la position de l'homme à l'intérieur de
cet univers. Pour la pensée islamique prédominante,
il est impossible de concevoir la dimension de l'espace divin
; il est homogène malgré (ou grâce à)
l'ubiquité de Dieu. Mais il n'est pas tout-à-fait
homogène du point de vue ésotérique. Il
nous semble qu'Eliade parle d'un sacré de ce type quand
il explique que "pour l'homme religieux l'espace n'est pas
homogène ; il présente des ruptures, des cassures
: il y a des portions d'espace qualitativement différentes
des autres. "N'approche pas d'ici, dit le Seigneur à
Moise, ôte les chaussures de tes pieds; car le lieu où
tu te tiens est une terre sainte" (Exode, III, 5).
Il y a donc un espace sacré.."14.
Une telle hétérogénéité
de l'espace reconsidère notre iconographie en sorte qu'elle
traite les "choses" réelles touchées
et possédées par des signes sacrés. Il est
possible, dès lors, de représenter ces choses d'une
manière licite ou d'une autre, marginale.
Le sacré épuré est un sacré orthodoxe,
intransigeant, alors que le sacré ésotérique
est un sacré très indulgent de sorte qu'une partie
de son activité consiste à reproduire des signes
visuels jusqu'à la franchise d'une figuration réaliste.
La figure humaine exclue du sacré épuré
peut, au moins, être symbolisée dans notre iconographie
avec une ligne, un cercle ou un schéma. Cette différence
est fondamentale. La figure visible discréditée
en faveur de l'omniprésent invisible est plus crédible
ici ; elle réapparaît diaboliquement, sinon sous
forme confuse.
Nous remplaçons, dans l'iconographie du sacré,
un "système abstrait" sans emprunt réel,
par un "système symbolique" qui réclame
initialement et nécessairement des représentations
auxquelles il leur donne, par la suite, des valeurs symboliques.
C'est un système visuel susceptible de créer des
expressions plastiques non négligeables et qui change
définitivement du contexte fonctionnel simple au contexte
artistique plus complexe.
Il serait difficile de détacher l'utilité d'une
oeuvre de son sens esthétique pur, le signifié
du signifiant, depuis les peintures illustratives de l'église
jusqu'à l'art conceptuel. Un problème compliqué
qui n'empêche pas d'admirer une iconographie qui est originellement
liée à une fonction quelconque.
L'auteur de catalogue des cachets, bulles et talismans
islamiques 15, Ludvik Klaus, met à notre disposition
un certain nombre de données documentaires, historiques
et techniques, et surtout des documents photographiques. En classifiant
la collection du cabinet des Médailles de la bibliothèque
Nationale de Paris qui contient au total deux cent trente et
une pièces de ce genre et qui datent pour la plupart du
XIIe, XIIIe et XIXe siècle sauf les talismans en écriture
coufique qui sont plus anciens, car ils datent probablement d'avant
le XIIe siècle.
Un aperçu de ce groupe de talismans pourrait être
un bon prélude à notre hypothèse.
Un mot d'abord sur la technique et le concept de talisman
fabriqué sur métaux. Pour fabriquer un objet talismanique,
on distingue deux formes de technique, la première est
appelée "en négatif" où l'éventuelle
inscription sera inscrite à l'envers ; "l'objet était
alors destiné à servir de cachet ou de sceau et
devait être apposé sur une autre matière
où l'on pouvait lire [l'inscription] dans le sens normal
("en positif")", [la deuxième forme donc],
le but d'un tel objet, était en général
de servir de talisman"16. Mais la distinction que fait l'auteur
entre cachet (en tant que sceau), bulle (comme l'empreinte positive
du cachet) et talisman (comme amulette procédant de la
même technique) n'explique rien sur la propriété
formelle17. En réalité, les cachets et les bulles
ne sont qu'une seule chose. Tous les deux se cachent finalement
dans un jeu qui accorde au graphisme, à l'inscription
et aux figures une valeur immanente. C'est vrai que les fonctions
du cachet et du talisman ne sont pas identiques : le cachet est
destiné à donner au document, privé ou officiel,
son authenticité, tandis que le talisman est de nature
magique et salutaire. Mais toutes les catégories
surgissent de la même tradition magico-religieuse. Comme
objet individuel, cher à son propriétaire et particulièrement
parce qu'il sert de gardien du secret de son détenteur,
le cachet doit être talismanique. Nous parlons donc du
même objet. Nous appelons dès lors talismans la
plupart des cachets.
Cette similitude trouve sa justification dans les formes,
les décorations, les inscriptions et les figures qui sont
semblables dans les deux cas. Dans les talismans métalliques
"en positif" de ce catalogue, on peut apercevoir une
concrétisation des formes talismaniques présentées
sous forme de schémas pictographiques dans notre livre
18: le chaton (de grande plaquette), la pyramide, la forme de
cabochon plan-convexe, la forme d'un coeur, la forme d'un écu,
la forme d'un rectangle aux angles coupés et les formes
circulaires. Les talismans se caractérisent par leurs
petits formats qui se mesurent en millimètres.
Un autre mot sur l'inintelligibilité des inscriptions
: elle était, explique l'auteur du catalogue, volontaire
et intentionnelle, car "le populaire recherche, comme les
plus efficaces, les formules les plus inintelligibles, formées
de mots intervertis sans aucun sens plausible ou de figures et
de signes inconnus de ceux qui s'en servent"19. On donnait
donc aux jeux graphiques le rôle principal. Or, les inscriptions
descriptives s'effacent complètement en se métamorphosant
en éléments décoratifs. La valeur de l'écriture
est, au moins, relative puisque le faiseur de 1'objet paraît
préoccupé par la forme, la configuration et par
le produit artisanal sinon par une valeur esthétique franche.
Notre auteur évoque également les figures "qui
ne sont pas très courantes" et "leur présence
[qui] a certainement chaque fois un sens magique complétant
le texte de l'inscription20. "Les motifs décoratifs,
notamment ceux de caractère végétal, sont
d'une grande variété. Les fleurettes ou les branchettes
peuvent être éparpillées sur la surface d'une
façon indépendante. Mais les fleurettes, présentées
à plat, sont souvent attachées à un support
constitué de cercle concentrique ou d'un treillis spiralé,
ou bien à un rinceau. Ces compositions sont d'habitude
plus ou moins stylisées, les fleurs présentées
à plat sont souvent constituées par trois à
six points, les feuilles ne sont que de simples traits gravés.
Sur cinq cachets, on observe une tresse, formant dans un cas
un ensemble avec l'écriture. Quant au décor figuratif,
le plus particulier est sans doute le cachet dont la surface
est partagée en un champ circulaire entouré d'une
bordure, le champ étant rempli par deux personnages assis
à la façon orientale. Sur un cachet portant une
inscription en caractères latins est gravé un lion,
qu'on retrouve également sur un autre cachet [...]. Sur
un cachet en cornaline, toute la surface est remplie d'un décor
floral très schématisé [...]. La bulle à
six empreintes nous fournit deux exemples de motifs figuratifs"21.
On voit sur la collection de talismans de la Bibliothèque
Nationale des figures humaines, animalières et végétales,
notamment :
Les sept signes magiques
Etoile à cinq branches
Tresse allongée
Oiseau à longues pattes
Paon
Cavalier et son cheval
Scorpion et Lion
Lion et gazelle
Quadrupède
Des personnages historiques
L'auteur note enfin qu'un "certain nombre d'articles
traitant ce sujet et des cachets musulmans ont été
également publiés dans des ouvrages concernant
des objets d'art"22. Mais avant qu'ils soient
des objets d'art, ils constituent un système pictural
aux traits particuliers. S'ils ont un lieu commun avec l'art
islamique connu, ils rajoutent simultanément une réflexion
nouvelle sur le symbolisme des formes. Le premier lieu non-commun
est celui de l'arabesque. Ils ne sont pas nécessairement
ornementaux dans le sens où on l'entend souvent. Objets
incolores et travaux graphiques, leurs jeux géométriques
ne sont pas sophistiqués, bien au contraire, ils sont
purs et simplifiés : une forme carrée dans ce système
se présente isolée et épurée. Leurs
natures géométriques globales n'empêchent
pas, dans les travaux tardifs, qu'ils puissent s'approcher de
la figure.
Dans les exemples qui vont suivre, le talisman devient une
véritable icône, c'est-à-dire, une
tentation d'exprimer une divination et un ensorcellement par
des termes plastiques adéquats. C'est une icône
écartée. Par ces exemples nous ne cherchons pas
à inventer mais à démontrer l'existence
d'un art authentique ne se réfèrant pas aux sources
visuelles en place. Objets d'art, objets ordinaires ou objets
rituels, ces talismans contiennent, quels que soient leurs statuts,
des pratiques plastiques sûres, plus habiles techniquement,
parfois, que certaines pratiques exposées par des objets
introduits assurément dans l'art islamique. Le fait qu'ils
sont relativement récents pour leurs dates, ne change
rien à leurs valeurs. Ils ont une parenté vérifiable
avec la tradition iconique du mysticisme la plus ancienne.
L'exécution du motif du cheval (voir Fig. G.) garde une
qualité esthétique et technique rare même
dans les travaux figuratifs notoires (des miniatures aux hautes
valeurs artistiques). L'exécutant maîtrise la posture
du cavalier, le mouvement et l'anatomie du cheval. D'autres exemples
se rencontrent avec la tradition de l'icône byzantine,
pratiquée abondamment et inventée peut-être
par les chrétiens orientaux (les Syriens).
Les formats affirment leur situation comme travaux entre l'art
et la magie, autant qu'ils confirment notre lecture. Des formats
inhabituels, grands par rapport aux talismans qu'on peut imaginer
tout petits pour être faciles à porter en cachette.
L'un d'entre eux mesure 65x56x6 mm., c'est-à-dire qu'il
a le même format qu'une petite icône chrétienne
de voyage. Le format se rapporte, en premier lieu, à l'occultisme
: pour que l'objet soit hermétique, il doit être
petit et inaperçu. Son fonctionnement n'est ni spectaculaire,
ni convivial ni dramatique ; il est interne, individualiste et
secret. Tout art qui concerne la masse et son intégration
spirituelle et sociale (comme l'art exposé dans les mosquées)
doit maintenir les récepteurs dans un rite et, du point
de vue du support, être monumental. L'art talismanique
ne cherche aucune communion. Il s'accorde avec son rôle
en s'exposant secrètement et seul. Comme les miniatures,
la circulation sociale de ces productions était limitée.
Cette iconographie s'abstient, grâce à son ascétisme,
de tout ornement chromatique, de toute séduction facile
et de tout excès figuratif provoquant des sentiments fragiles.
Son volume reste toujours plus petit que la quasi majorité
des supports de l'art religieux islamique.
Nous aimerions revenir sur le caractère graphique
qu'englobent ces travaux. Il est inhabituel dans l'art de
l'islam, sauf probablement pour les épigraphies et les
calligraphies. Inhabituels encore les dessins, sauf peut-être
dans les livres scientifiques qui ont été colorés
pourtant à la main. Il s'agit de dessins achromatiques,
ou mieux de traces graphiques achromatiques, abstraits ou non.
Ces travaux en noir et blanc et objets de gravure (et
voilà un élément nouveau pour l'histoire
de l'art islamique), souhaitent confirmer que le sacré
ne dépend pas du Bahraj (un mot intraduisible en
français : à la fois resplendissant, futile, vain,
factice et sophistiqué), digne d'un être mortel,
l'être profane.
Quand un soufi prête attention aux couleurs, il les
admire comme étant des valeurs abstraites, un rehaussement
de l'expérience interne. Une couleur est, pour lui, une
question presque intellectuelle et d'ordre abstrait qui n'accepte
guère de s'intégrer dans les oeuvres concrètes.
Ces dernières se montrent uniquement monochromes, tandis
que nous pouvons lire des contemplations, voire des analyses,
approfondies de la part de ce même soufi sur toute une
gamme de couleurs.
Si nous estimons que la tonalité prédominante
sur les supports communs de l'art officiel et de cet art est
aussi l'achèvement chromatique de la théorie soufie
sur les couleurs, cette interprétation est valable.
Les exemples que nous allons étudier illustrent quelques
principes d'un système visuel qui sera développé
dans les pages suivantes.

Fig. A
Talisman. Plaquette en néphrite,
en forme de coeur polylobé.
65x56x6 mm. (grand format
relativement)
Un talisman à chiffres "qui sont arrangés
sur l'avers en rangées horizontales et sur le revers dans
un carré magique. Notons que le total des valeurs
des chiffres sur l'avers est le même pour la première
et la quatrième ligne (27) ainsi que pour la deuxième
et la troisième ligne (23)"23. Le caractère
décoratif des travaux mystiques se prononce clairement
ici. Ce coeur est une concrétisation des idées
et des formes que soufis et magiciens musulmans ne cessaient
de décrire et de dessiner dans leurs ouvrages.
On pourrait sans doute admirer cet objet en tant qu'objet d'art.
L'exécution précise de l'ensemble et la délicatesse
des feuilles affichent une beauté simple mais profonde.
Ce talisman est une démonstration de notre hypothèse
sur le "talisman comme support de pensées ésotériques".
Fig. B
Talisman. Plaquette en cornaline,
rectangulaire. Dim. 42x40x8 mm.
Ecritures en arabe. Motifs figuratifs : "au centre, sous
un arc, se trouve un personnage sur un trône, dans les
angles au-dessus de l'arc il y a un ange de chaque côté.
Deux quadrupèdes dont le corps se dirige vers l'extérieur,
avec la tête tournée vers l'intérieur, se
trouvent devant le trône, tandis qu'une huppe est perchée
à la droite du trône. Dans la partie inférieure,
deux personnages se tiennent de chaque côté du trône.
A droite, placée verticalement, on voit une inscription
contenant le nom de Dawud. A gauche il y a l'inscription du nom
de Sulaymân24. D'après Chabouillet, on y voit "Salomon,
la couronne en tête et assis sur son trône, à
la mode orientale. A ses pieds, les hommes et les animaux qui
lui sont soumis. A droite, vole vers lui la huppe qui lui sert
de messager dans ses entretiens avec Balkis, reine de Saba .
A g auche on lit : Soliman ; à droite, fils de Dawud"25"en
plus, le personnage sur le trône a des traits visiblement
féminins ce qui suscite un certain doute au sujet de la
représentation de Salomon26.
Le format de l'objet est sensiblement petit par rapport à
la complexité de la composition effectuée. Le talisman
redonne un autre poids à l'hypothèse qu'on essaie
de développer : l'iconographie en question rappelle les
symboles historiques susceptibles d'entrer en jeu avec la magie.
L'écriture a une place décorative plutôt
que descriptive. La composition est une réussite : le
personnage principal est au centre du carré occupant le
milieu du talisman. Les autres personnages se tiennent debout
sur un plancher (une ligne droite) pour donner à leur
représentation une consistance et un équilibre
physique.
(...)
Fig. L
Coffret d'un talisman. Argent
incrusté de nielle 4,6x4,3x1,2 cm. Iran(?), Xe ou XIe
siècle. Ecriture kufique: "La illaha illa Allah,
Mouhammed Rassul Allah": il n'y a pas dieu que Dieu, Mouhammed
l'envoyé du Dieu. David Collection, Danemark.
Cet objet est peut-être le plus beau parmi tous les
objets précédents. Le fait qu'il fut destiné
à porter un talisman n'empêche pas de l'imaginer
avoir un usage plus courant : porter un Coran en particulier.
Celui-ci, ou certains de ses versets étaient également
considérés comme des talismans.

Fig. M
Bol. Cuivre. Dim. 11,1 cm.
Ecriture naskhi. Signature de Mouhammed ibn. Yûnus 27
Syrie; 1200 ap. J.-C. David
Collection, Danemark
Il s'agit en effet d'un objet d'art franc. Ce bol syrien illustre
de manière frappante l'usage magique de l'écriture
et de l'art de dessiner. Fut-il destiné à être
accroché sur un mur ou bien à l'utilisation quotidienne
(comme assiette)? Tous les éléments qui seront
analysés par la suite figurent sur cet objet, à
savoir le carré magique, l'incantation, et les figures
animalières les plus fréquentes dans notre iconographie
; scorpion, serpent, chien et signes astrologiques.
G. Wiet dans Les objets mobiliers en cuivre et en bronze
à l'inscriptions historiques 28 publie
une assiette très similaire de ce bol se trouvant au Musée
d'Art islamique du Caire.
1. Ibn Al-Nadim, Abu Al-Faraj: (...- mort env.1000) papetier
de métier et auteur/classificateur par la suite.
2. Ludvik Klaus: Catalogue des cachets, bulles et talismans islamiques,
Ed. Bibliothèque Nationale, Paris 1981, p. 70
3. Hauser, Harnold: Histoire sociale de l'art et de la littérature,
4 Vol. Pré. de Jacques Leenhardt. Ed. Le Sycomore, Paris,
1982-1984, Vol.2, p.332.
4. Voir par exemple le livre de David Rouach: Les talismans;
magie et tradition juive, Bd. A. Michel, Paris, 1989.
5. Mircea Eliade: Le sacré et le profane, Gallimard, Paris,
1965.
6. Ibidem, p.16
7. Ibidem, p.16
8.Ibidem, p.18
9. Ibidem, p.19
10 Ibidem, p.19
11. Le soufisme sera lié tardivement à ce
qui n'appartient pas à son essence initiale, à
toutes sortes de fables, de charlatanisme, et même aux
drogues et au haschisch, notamment à l'époque ottomane.
12. En respectant la traduction de Blachère, nous
remplaçons le mot Allah par le mot Dieu.
13. Le Coran. Trad. Régis Blachère, Paris,
p.671
14. Op. cit., p.25
15.Op. cit.
16.Ibidem, p. 2
17. Il reconnaît que "même si dans la
plupart des cas cette division formelle, basée sur le
sens de l'écriture et attribuant d'après ce sens
des objets parmi les cachets ou les talismans, n'est pas contredite
par le contenu des inscriptions, j'ai été obligé
de tenir compte d'un groupe bien particulier d'objets pour lesquels
cette distinction s'est avérée peu convenable.
Il s'agit de treize objets dont les inscriptions "en négatif"
sont à caractère typiquement talismanique..."
p.2
18.Voir notre chapitre "Le
talisman: pictogramme talismanique comme élément
pictural".
19. Op cité., p.92 en citant
Antoine Cabaton: Amulettes chez les peuples islamisés
de l'Extrême Orient, dans Revue du Monde Musulman, 1909,
p. 378
20. Ibidem, p. 93
21. Ibidem, p. 33, p.57
22. Ibidem, p.7-8
23. Op. cit., p.88
24. Ibidem, cit., p. 99
25. Ibidem, p.100
26. Ibidem, p.100
27.Voir explication et reproduction
dans Arte islamica a Napoli; opere delle raccolte pubbliche napoletane,
catalogo di UMBERTO SCERRATO, Napoli 1967, p.35, fig. 21. Le
catalogue qualifie l'objet comme Coppa Magica.
28. G. Wiet : objets mobiliers en
cuivre et en bronze à l'inscriptions historiques, Catalogue
Général du Musée Arabe du Caire, 1932, p.95
[haut
de la page]
Extraits de Soufisme et Art visuel,
iconographie du sacré de Shaker Laibi. Paris, L'Harmattan,
1998.
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