{"id":875,"date":"2015-01-11T23:26:20","date_gmt":"2015-01-11T22:26:20","guid":{"rendered":"http:\/\/www.archipress.org\/wp\/?page_id=875"},"modified":"2015-01-17T13:13:27","modified_gmt":"2015-01-17T12:13:27","slug":"le-mythe-du-developpement","status":"publish","type":"page","link":"https:\/\/www.archipress.org\/?page_id=875","title":{"rendered":"Le mythe du d\u00e9veloppement"},"content":{"rendered":"

Le mythe du d\u00e9veloppement<\/strong>
\nouvrage collectif, Seuil, Paris, 1977.<\/p>\n

\u00ab\u00a0Et si le d\u00e9veloppement, cette \u00e9toile vers laquelle on voulait faire marcher les peuples du monde, n’\u00e9tait qu’un astre mort ? (…) Le \u00ab\u00a0d\u00e9veloppement\u00a0\u00bb, expression de la mystique industrielle, est entr\u00e9 en agonie…\u00a0\u00bb<\/p>\n

Les auteurs sont des penseurs de ce temps ; \u00e9conomistes, sociologues et philosophes : J. Attali, R. Dumont, C. Mendes, E. Morin, etc…<\/p>\n

extraits significatifs<\/em><\/p>\n

p. 10 ; \u00ab\u00a0Et le cadavre encore ti\u00e8de du concept de d\u00e9veloppement s’est trouv\u00e9 enterr\u00e9 pour laisser place \u00e0 une nouvelle vision du processus social, ax\u00e9e sur les nouvelles ent\u00e9l\u00e9chies, sur l’harmonie avec la nature qu’exige la nouvelle conscience \u00e9cologique.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 11 ; \u00ab\u00a0Dans quelle mesure peut-on encore parler de syst\u00e8mes de valeurs distincts de celui de la soci\u00e9t\u00e9 d’abondance, lui opposant une alternative viable et op\u00e9rationnelle par-del\u00e0 le n\u00e9o-rousseaunisme na\u00eff du sermon \u00e9cologique ?\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 13 ; \u00ab\u00a0Nous pouvons contribuer \u00e0 changer un pathos<\/em> en \u00e9thos<\/em>, et de deux mani\u00e8res. D’abord par une analyse critique, par une asc\u00e8se conceptuelle, qui d\u00e9consid\u00e8re l’usage lyrique et ind\u00e9termin\u00e9 de mots comme croissance, expansion, progr\u00e8s, d\u00e9veloppement.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 15 ; \u00ab\u00a0(…) la croyance plus modeste \u00e0 laquelle s’\u00e9tait ralli\u00e9e notre \u00e9poque et que Heidegger exprimait en \u00e9crivant que, au sein de l’activit\u00e9 technique, l\u00e0 o\u00f9 surgit le mal surgit le rem\u00e8de.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 17 ; \u00ab\u00a0Il faut s’attendre \u00e9galement \u00e0 ce que l’entreprise capitaliste cherche de nouveaux b\u00e9n\u00e9fices du c\u00f4t\u00e9 des biens immat\u00e9riels, qui \u00e9chappent encore plus ou moins \u00e0 son contr\u00f4le : le loisir, la sexualit\u00e9, l’\u00e9ducation, la m\u00e9decine, etc…\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 21 ; \u00ab\u00a0Si cette analyse est exacte, il faut admettre que la crise du d\u00e9veloppement est d’abord une crise de la raison et de la culture occidentale ce qui ne r\u00e9duit son extension qu’en apparence…\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 22-23 ; \u00ab\u00a0Le d\u00e9veloppement au sens correct du terme, implique une prise en consid\u00e9ration de la \u00ab\u00a0base\u00a0\u00bb, c’est-\u00e0-dire de ce qui est latent dans un groupe et qui pr\u00e9cis\u00e9ment doit \u00eatre d\u00e9velopp\u00e9 : sa langue, son temp\u00e9rament, sa culture, son autonomie, tout ce qui donne rythme et signification \u00e0 l’effort collectif. Or la conception pr\u00e9dominante du d\u00e9veloppement n’int\u00e8gre ce dynamisme qu’au titre de moyens au service d’un processus dont l’orientation et la cadence sont soumis \u00e0 des calculs eux-m\u00eames d\u00e9termin\u00e9s par l’imitation du mod\u00e8le industrie et le m\u00e9canisme g\u00e9n\u00e9ral de la concurrence. Loin de parvenir \u00e0 un \u00e9quilibre dynamique entre campagne et ville, entre \u00ab\u00a0base\u00a0\u00bb et superstructure administrative, on assiste, presque partout, \u00e0 la constitution de m\u00e9tropoles gigantesques, au d\u00e9clin des communaut\u00e9s populaires, \u00e0 la disparition de sub-cultures au profit d’outillages hypertrophi\u00e9s, d’administrations bureaucratis\u00e9es et de cultures pr\u00e9-fabriqu\u00e9es. Le discours du d\u00e9veloppement devient ainsi tautologique et finalement contradictoire. Ce n’est pas un \u00e9quilibre dynamique qui est cr\u00e9\u00e9, mais un d\u00e9s\u00e9quilibre \u00e9touffant ; et les originalit\u00e9s, loin d’\u00eatre stimul\u00e9es, sont paralys\u00e9es. On devrait parler d’enveloppement plut\u00f4t que de d\u00e9veloppement.<\/p>\n

(…) Avons-nous d’autres moyens d’aider les pays sous-d\u00e9velopp\u00e9s que de modifier la finalit\u00e9, la structure et la cadence de notre propre d\u00e9veloppement ?<\/p>\n

(…) Si forte est cette conviction qu’elle a m\u00eame int\u00e9gr\u00e9 le marxisme qui pourtant reposait sur une affirmation inverse : le mal de l’homme a des causes sociales et politiques, la p\u00e9nurie et l’in\u00e9galit\u00e9 ne s’expliquent pas par des causes ext\u00e9rieures mais par des causes int\u00e9rieures aux soci\u00e9t\u00e9s…\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 24 ; \u00ab\u00a0En cons\u00e9quence, la critique et la r\u00e9forme du d\u00e9veloppement doivent \u00eatre d\u00e9plac\u00e9es du domaine de l’\u00e9valuation mat\u00e9rielle (potentiel des ressources) \u00e0 celui de l’\u00e9valuation sociale, morale, culturelle : quel est le degr\u00e9, quelle est la qualit\u00e9 de bonheur, d’amiti\u00e9, de paix, de culture souhait\u00e9s par tel groupe -ce qu’Illitch r\u00e9sume sous le nom de convivialit\u00e9? Quels sont les moyens politiques, intellectuels, spirituels pour organiser la soci\u00e9t\u00e9 de telle sorte que les choses deviennent suffisantes?\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 27 ; \u00ab\u00a0A la racine de la crise du d\u00e9veloppement se trouvent l’atrophie des libert\u00e9s et l’hypertrophie des pouvoirs et des outils.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 30 ; \u00ab\u00a0On a beaucoup parl\u00e9 du d\u00e9veloppement. On ne l’a pas d\u00e9fini.<\/p>\n

(…) Et c’est bien l\u00e0 que le d\u00e9veloppement se trouve le plus contest\u00e9, car c’est l\u00e0 qu’il fait le plus de dommages. Je crois qu’\u00e0 partir d’un certain seuil, le d\u00e9veloppement, qui jusqu’alors avait eu des cons\u00e9quences favorables dans la r\u00e9animation des cultures, dans la reprise de conscience des peuples, agit comme une force d’anesth\u00e9sie, de r\u00e9duction, comme un \u00e9galisateur. Le \u00ab\u00a0\u00eatre plus\u00a0\u00bb d\u00e9g\u00e9n\u00e8re en un \u00ab\u00a0\u00eatre comme\u00a0\u00bb, un \u00ab\u00a0\u00eatre de la m\u00eame mani\u00e8re que\u00a0\u00bb, de plus en plus contraignant et en m\u00eame temps de plus en plus s\u00e9duisant. Car la contrainte s’accompagne ici d’une immense s\u00e9duction. Mais si vraiment nous nous inqui\u00e9tons, qu’est-ce que nous pouvons faire ? Je suis frapp\u00e9 de ce que la critique du d\u00e9veloppement se situe exactement au niveau de ce qu’elle conteste, c’est-\u00e0-dire au niveau de la math\u00e9matique, de l’addition des chiffres, de la quantit\u00e9 pure. A l’origine de cette controverse se trouve cette conviction selon laquelle toute l’histoire est le produit de la raret\u00e9.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 31 ; \u00ab\u00a0C’est l\u00e0 o\u00f9 la politique devient notre souci principal.<\/p>\n

Donc, je propose de d\u00e9placer la critique du d\u00e9veloppement, de l’enlever \u00e0 ces arguments chiffr\u00e9s, mat\u00e9riels, et de la reporter au plan politique et moral. Il faut passer \u00e0 une invention morale, politique et technique, qui permette autre chose que le d\u00e9veloppement tel que nous le connaissons. L’industrialisation, la mythologie productiviste ont asservi toutes les traditions culturelles de notre \u00e9poque, aussi bien le socialisme que le christianisme. Or, si nous revenons \u00e0 des \u00e9l\u00e9ments de base dans le christianisme ou le socialisme, nous trouvons la frugalit\u00e9, pour parler comme Proudhon, nous trouvons la pauvret\u00e9 \u00e9vang\u00e9lique, nous trouvons un mode de rapport avec la nature, qui est quelque chose dont nous sommes encore assez proches.<\/p>\n

(…) Il s’agit de nous interroger sur ce que nous appelons notre science, notre technologie.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 33 ; \u00ab\u00a0Si on faisait la liste de tous les mots st\u00e9r\u00e9otyp\u00e9s, surrann\u00e9s, vieillis, qu’on utilise encore, on en arriverait \u00e0 cette notion qu’au fond c’est encore une id\u00e9e de Rousseau, celle d’un mariage avec la nature, m\u00eame si on parle d’Ivan Illich et de J\u00e9r\u00f4me Bosch.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 35 ; \u00ab\u00a0Une soci\u00e9t\u00e9 en devenir n’est plus une soci\u00e9t\u00e9 en \u00e9quilibre, ou mieux en hom\u00e9ostasie. Elle va de crise en crise, de rupture en rupture. Ainsi on comprend aujourd’hui que le d\u00e9veloppement industriel est un ph\u00e9nom\u00e8ne d’hubris <\/em>. D\u00e9sormais, le probl\u00e8me qui se pose \u00e0 nous n’est pas de retrouver les anciennes r\u00e9gulations, c’est celui d’un nouveau processus de r\u00e9gulation dans le devenir.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 37 ; \u00ab\u00a0Et je reconnais que, de ce point de vue, je rel\u00e8ve d’un certain empire qui est l’empire occidental. L\u00e0-dessus, j’ai accept\u00e9 mes responsabilit\u00e9s et j’ai dit que le mod\u00e8le occidental \u00e9tait le seul op\u00e9ratoire, le seul efficace en ce moment dans le monde.<\/p>\n

(…) La culture occidentale n’est pas sup\u00e9rieure aux autres mais elle a toujours su se reprendre, se revivifier et se r\u00e9g\u00e9n\u00e9rer \u00e0 partir de ses donn\u00e9es fondamentales. Ce qui ne signifie pas qu’elle soit meilleure, ni qu’elle soit \u00e9ternelle.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 67 ; \u00ab\u00a0L’Inde est un exemple frappant : elle a export\u00e9 pour 2,5 milliards de dollars de marchandises l’ann\u00e9e derni\u00e8re, et elle devra payer cette ann\u00e9e un milliard de dollars supl\u00e9mentaires pour son p\u00e9trole et un milliard de dollars supl\u00e9mentaires pour ses produits alimentaires et ses engrais, soit une augmentation de 2 milliards de dollars en un an.<\/p>\n

On peut dire sans risque d’erreur que maints gouvernements s’effondreront dans ces pays, sous l’effet de ces tensions au cours des prochains dix-huit \u00e0 vingt-quatre mois.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 68 ; \u00ab\u00a0Depuis plusieurs ann\u00e9es, les stocks de produits alimentaires ont diminu\u00e9, malgr\u00e9 la r\u00e9colte de 1974 qui fut la plus riche dans l’histoire de l’humanit\u00e9.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 151 ; \u00ab\u00a0Le point de d\u00e9part sera une tentative de d\u00e9finition des principaux objectifs ultimes du d\u00e9veloppement, qui sont, \u00e0 notre avis, les suivants :<\/p>\n

a) L’objectif principal du d\u00e9veloppement doit \u00eatre la satisfaction des besoins \u00e9l\u00e9mentaires comme la nourriture, le logement, la sant\u00e9 et l’\u00e9ducation. Le premier principe doit \u00eatre que tout \u00eatre humain -du seul fait de son existence- a le droit absolu de satisfaire ces besoins qui sont essentiels \u00e0 une int\u00e9gration compl\u00e8te et active dans sa culture. Un objectif parall\u00e8le et compl\u00e9mentaire consiste \u00e0 diminuer et \u00e9ventuellement \u00e0 \u00e9liminer compl\u00e8tement l’in\u00e9galit\u00e9 sociale.<\/p>\n

b) L’am\u00e8nagement rationnel de l’environnement physique devrait \u00eatre une des lignes d’orientation du d\u00e9veloppement \u00e9conomique ; il est essentiel de construire une soci\u00e9t\u00e9 enti\u00e8rement en harmonie avec son environnement ; cela signifie que les objectifs d\u00e9finis au point a) doivent \u00eatre atteints en utilisant une quantit\u00e9 minimale de ressources naturelles compatible avec le niveau ad\u00e9quat des besoins \u00e9l\u00e9mentaires.<\/p>\n

c) Le d\u00e9veloppement de chaque pays ou de chaque r\u00e9gion devra \u00eatre fond\u00e9, dans la mesure du possible, sur ses propres ressources -naturelles et humaines.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 152 ; \u00ab\u00a0Cependant, une fois les d\u00e9cisions politiques prises, l’instrument le plus important de la mise en place du processus est l’existence d’une capacit\u00e9 scientifique et technologique \u00e9lev\u00e9e. Un domaine pratiquement inexplor\u00e9 par les pays d\u00e9velopp\u00e9s et qui soul\u00e8ve des probl\u00e8mes, c’est celui de l’utilisation rationnelle et de la \u00ab\u00a0cr\u00e9ation\u00a0\u00bb de ressources naturelles, le d\u00e9veloppement de nouvelles technologies appropri\u00e9es aux conditions sp\u00e9cifiques des pays attard\u00e9s, etc.<\/p>\n

Une approche imaginative et ouverte est indispensable dans cette recherche technologique et scientifique, et son absence s’est fait cruellement sentir dans les syst\u00e8mes R et D des pays sous-d\u00e9velopp\u00e9s.<\/p>\n

Les changements dans les relations de pouvoir \u00e0 l’int\u00e9rieur d’une soci\u00e9t\u00e9 ne sont pas suffisants en eux-m\u00eames pour adapter automatiquement les \u00e9l\u00e9ments de la superstructure \u00e0 la nouvelle situation. Les syst\u00e8mes R et D des soci\u00e9t\u00e9s modernes, dans les pays avanc\u00e9s comme dans les pays en voie de d\u00e9veloppement, ont des traditions quant aux crit\u00e8res pour effectuer et orienter les recherches qui se sont d\u00e9velopp\u00e9es dans les soci\u00e9t\u00e9s occidentales avanc\u00e9es. C’est pourquoi, compte tenu des contraintes politiques, ils se sont r\u00e9v\u00e9l\u00e9s si peu efficaces face \u00e0 une situation radicalement nouvelle pos\u00e9e par le secteur traditionnel des pays en voie de d\u00e9veloppement. Le probl\u00e8me important \u00e0 r\u00e9soudre est de savoir modifier cette situation pour changer la conception et l’orientation des syst\u00e8mes scientifiques et technologiques.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 153 ; \u00ab\u00a0Cette disposition formelle manque presque compl\u00e8tement dans d’autres pays, et le syst\u00e8me fonctionne plus ou moins ind\u00e9pendamment de la structure d\u00e9finie par la planification sur le plan national. Toutefois, et dans les deux cas, l’efficacit\u00e9 de ces syst\u00e8mes reste plus ou moins la m\u00eame. Il ne s’agit pas ici, bien entendu, de porter un jugement de valeur sur les avantages intrins\u00e8ques pr\u00e9sent\u00e9s par l’orientation donn\u00e9e au d\u00e9veloppement, mais de dire que les syst\u00e8mes de recherche et de d\u00e9veloppement des pays d\u00e9velopp\u00e9s r\u00e9pondent avec la m\u00eame insuffisance \u00e0 la demande implicite de leurs soci\u00e9t\u00e9s.<\/p>\n

(…) D\u00e9terminer la technologie qui conviendra \u00e0 une soci\u00e9t\u00e9 donn\u00e9e soul\u00e8ve un probl\u00e8me comportant de nombreuses variables, dont fort peu sont strictement technologiques. La plupart d’entre elles se rattachent aux domaines de l’\u00e9conomie, de la sociologie et de la psychologie sociale, pour former ce que l’on pourrait appeler un ensemble d’hypoth\u00e8ses qui constituent, si l’on veut, le cadre de r\u00e9f\u00e9rence du syst\u00e8me de recherche et de d\u00e9veloppement. Elles sont l’expression des caract\u00e9ristiques les plus fondamentales de ces soci\u00e9t\u00e9s, et sont rarement explicit\u00e9es car elles ont \u00e9t\u00e9 assimil\u00e9es par chaque membre des syst\u00e8mes en question. C’est pourquoi tout savant ou technologue du monde industrialis\u00e9, ind\u00e9pendamment de sa situation sociale ou de son id\u00e9ologie politique, rejette automatiquement et presque inconsciemment, lorsqu’il est confront\u00e9 \u00e0 un probl\u00e8me technologique, toute solution non conforme aux hypoth\u00e8ses g\u00e9n\u00e9ralement admises. C’est ce premier filtrage qui d\u00e9termine la solution technologique possible applicable aux probl\u00e8mes sp\u00e9cifiques des pays en voie de d\u00e9veloppement. Le point important est que, sans cet ensemble d’hypoth\u00e8ses ou leur \u00e9quivalent, aucun probl\u00e8me technologique ne peut faire l’objet d’une recherche scientifique qu’\u00e0 la condition que ses param\u00e8tres sociaux et \u00e9conomiques ainsi que ses variables soient d\u00e9finis sans ambigu\u00eft\u00e9.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 159 ; \u00ab\u00a0Ainsi, les Chinois connaissaient la poudre \u00e0 canon bien avant les Occidentaux, et pendant des si\u00e8cles ils s’en sont servis pour les feux d’artifice des f\u00eates populaires, mais d\u00e8s que la poudre a p\u00e9n\u00e9tr\u00e9 en Occident, on a invent\u00e9 le canon!<\/p>\n

(…) Ainsi le probl\u00e8me pos\u00e9 par les pays sous-d\u00e9velopp\u00e9s est de savoir s’ils pourront mettre au point un nouvel ensemble de paradigmes susceptibles d’exprimer r\u00e9ellement les aspirations de leurs peuples, les valeurs et les besoins d’une soci\u00e9t\u00e9 nouvelle. Si nous admettons la n\u00e9cessit\u00e9 de d\u00e9velopper une nouvelle technologie, j’insiste pour que l’on comprenne bien qu’il ne s’agit pas, comme on le dit souvent, de cr\u00e9er toute<\/em>la technologie, mais qu’il est possible de cr\u00e9er une vari\u00e9t\u00e9 particuli\u00e8re de technologie r\u00e9pondant \u00e0 une situation particuli\u00e8re. Si nous acceptons cette notion, nous voyons que le monde en voie de d\u00e9veloppement est dans une situation presque semblable \u00e0 celle du monde occidental au d\u00e9but de la R\u00e9volution Industrielle, mais qu’en plus, il dispose d’un avantage qui n’existait pas alors, c’est-\u00e0-dire d’immenses connaissances scientifiques pouvant fort bien s’appliquer \u00e0 la solution de ses probl\u00e8mes.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 182 ; \u00ab\u00a0Les strat\u00e9gies de la onzi\u00e8me heure n’ont pas \u00e9t\u00e9 utilis\u00e9es ; elles ont \u00e9t\u00e9 d\u00e9laiss\u00e9es comme des sinal\u00e8phes \u00e0 la marge du tourbillon final du populisme\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 183 ; \u00ab\u00a0L’hom\u00e9ostase profite des stratifications et de l’anomie qui marquent la vieille organisation coloniale encore incompl\u00e8tement \u00e9limin\u00e9e par le d\u00e9veloppement.<\/p>\n

(…) Les compartiments deviennent alors des valvules, ou plut\u00f4t des vases communicants, qui retiennent et modulent le flux g\u00e9n\u00e9ral du changement. Ils l’emp\u00eachent d’atteindre une limite synergique et surtout veillent \u00e0 ce que ses rythmes et ses impulsions \u00e9ventuelles se fassent selon une logique de renvois, selon un mod\u00e8le de loops<\/em> excentriques.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 184 ; \u00ab\u00a0Dans cette optique et en r\u00e9ponse d\u00e9j\u00e0 \u00e0 l’analyse du discours logique et \u00e0 son impatience, l’on peut interpr\u00e9ter la r\u00e9volution telle qu’elle appara\u00eet dans l’eschatologie occidentale, comme un \u00ab\u00a0luxe\u00a0\u00bb du processus historique, un \u00ab\u00a0surplus\u00a0\u00bb de l’auto-organisation atteinte par la soci\u00e9t\u00e9.<\/p>\n

(…) Les strat\u00e9gies de cloisonnement actuellement en vogue dans le continent latino-am\u00e9ricain supposent des nodules de haute fonctionnalit\u00e9 dans l’articulation des facteurs de production au reste du complexe social ; le jeu d’\u00e9quilibre de ce syst\u00e8me se fait par l’\u00e9coulement continu et r\u00e9gl\u00e9 des masses individualis\u00e9es dans le champ de forces du devenir.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 186-187 ; \u00ab\u00a0Il ne s’agit pas seulement de voir de quelle mani\u00e8re l’id\u00e9ologie nouvelle peut alt\u00e9rer les anciennes priorit\u00e9s du \u00ab\u00a0que faire\u00a0\u00bb international, de noter que dans l’ordre du jour du d\u00e9veloppement elle a remplac\u00e9 les \u00e9thiques de \u00ab\u00a0performances\u00a0\u00bb par celles de l’accomodation, de recherche d’un \u00e9qilibre entre l’homme et oecumene <\/em>, dont l’Occident s’\u00e9loigne depuis des si\u00e8cles au point d’en arriver \u00e0 une quasi-\u00ab\u00a0lobotomisation\u00a0\u00bb.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 188 ; \u00ab\u00a0Ce n’est pas par les m\u00eames d\u00e9tours ni par le filtre de la m\u00eame r\u00e8gle d’or \u00e9cologique que passent les probl\u00e8mes qui se situent comme un contre-feedback<\/em> \u00e0 l’\u00e9volution globale du syst\u00e8me -comme celui de la pollution ou de l’accroissement d\u00e9mographique -ni les d\u00e9cisions relatives \u00e0 la concentration des grands protagonistes du devenir \u00e9conomique ou \u00e0 la composition organique de son capital, ni non plus, d\u00e9pouill\u00e9e, dans sa derni\u00e8re libert\u00e9 sauvage, la vision a-critique qui fait de l’innovation, dans toute analyse pr\u00e9dictive, la folle du syst\u00e8me.<\/p>\n

(…) Nous nous r\u00e9f\u00e9rons \u00e0 la sensibilit\u00e9 \u00e9thique qui traverse les ann\u00e9es 1970, \u00e0 ce nouveau placenta de visions, d’attentes et d’inqui\u00e9tudes.\u00a0\u00bb<\/p>\n

Pour ma part, je vais essayer de discuter un peu sur ce que peut \u00eatre une approche heuristique de la notion de \u00ab\u00a0crise\u00a0\u00bb.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 192 ; \u00ab\u00a0En d’autres termes, comment obtenir la tr\u00eave des \u00e9poch\u00e8<\/em> o\u00f9 le discours ferm\u00e9 et concentrationnaire du d\u00e9veloppement classique se trouverait enfin suspendu ?\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 205 ; \u00ab\u00a0\u00a0\u00bbLa crise du progr\u00e8s\u00a0\u00bb \u00e9tait le th\u00e8me des ann\u00e9es 30.<\/p>\n

(…) Cette clef, c’\u00e9tait la croissance \u00e9conomique, r\u00e9alisable sans difficult\u00e9s gr\u00e2ce aux nouvelles m\u00e9thodes de r\u00e9gulation de la demande, et les taux de croissance du P.N.B. par habitant contenaient la r\u00e9ponse \u00e0 toutes les questions.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 206 ; \u00ab\u00a0Certes aussi, la faim \u00e9tait (comme elle l’est toujours) r\u00e9alit\u00e9 quotidienne pour une \u00e9norme partie de la population de la plan\u00e8te, et le Tiers Monde ne<\/em> r\u00e9alisait pas <\/em>une croissance \u00e9conomique, ou bien sa croissance restait trop faible et trop lente. Mais la raison en \u00e9tait que les pays du Tiers Monde ne se \u00ab\u00a0d\u00e9velopppaient\u00a0\u00bb pas. Le probl\u00e8me donc consistait \u00e0 les d\u00e9velopper, ou \u00e0 les faire se d\u00e9velopper. La terminologie internationale officielle a \u00e9t\u00e9 adapt\u00e9e en cons\u00e9quence. Ces pays, auparavant nomm\u00e9s, avec une sinc\u00e8re brutalit\u00e9, \u00ab\u00a0arri\u00e9r\u00e9s\u00a0\u00bb, puis \u00ab\u00a0sous-d\u00e9velopp\u00e9s\u00a0\u00bb et finalement \u00ab\u00a0pays en voie de d\u00e9veloppement\u00a0\u00bb -joli euph\u00e9misme, signifiant en fait que ces pays ne<\/em> se d\u00e9veloppaient pas . <\/em>Comme les documents officiels l’ont formul\u00e9 \u00e0 maintes reprises, les d\u00e9velopper voulait dire : les rendre capables d’entrer dans la phase de la \u00ab\u00a0croissance auto-entretenue\u00a0\u00bb.<\/p>\n

(…) Limit\u00e9e \u00e0 l’origine \u00e0 l’int\u00e9rieur d’un cercle tr\u00e8s \u00e9troit de penseurs politiques et sociaux h\u00e9t\u00e9rodoxes, ces critiques se sont largement r\u00e9pandues, en l’espace de quelques ann\u00e9es, parmi les jeunes et ont commenc\u00e9 d’influencer aussi bien les mouvements \u00e9tudiants des ann\u00e9es 60 que le comportement effectif des divers individus et groupes, qui d\u00e9cid\u00e8rent d’abandonner la \u00ab\u00a0course de rats\u00a0\u00bb et tent\u00e8rent d’\u00e9tablir pour eux-m\u00eames de nouvelles forme de vie communautaire.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 207 ; \u00ab\u00a0Depuis l’enfoncement de Venise dans les eaux jusqu’\u00e0 la mort peut-\u00eatre imminente de la M\u00e9diterran\u00e9e ; depuis l’eutrophisation des lacs et des fleuves jusqu’\u00e0 l’extinction de douzaines d’esp\u00e8ces vivantes ; depuis les printemps silencieux jusqu’\u00e0 la fonte \u00e9ventuelle des calottes glaciaires des p\u00f4les ; depuis l’\u00e9rosion de la Grande Barri\u00e8re de Corail jusqu’\u00e0 la multiplication par mille de l’acidit\u00e9 des eaux de pluie…\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 214 ; \u00ab\u00a0Ce qui importe ici est la \u00ab\u00a0co\u00efncidence\u00a0\u00bb et la convergence que l’on constate \u00e0 partir, disons, du XIV\u00e8me si\u00e8cle, entre la naissance et l’expansion de la bourgeoisie, l’int\u00e9r\u00eat obs\u00e9dant et croissant port\u00e9 aux inventions et aux d\u00e9couvertes, l’effondrement progressif de la repr\u00e9sentation m\u00e9di\u00e9vale du monde et de la soci\u00e9t\u00e9, la R\u00e9forme, le passage \u00ab\u00a0du monde clos \u00e0 l’Univers infini\u00a0\u00bb, la math\u00e9matisation des sciences, la perspective d’un \u00ab\u00a0progr\u00e8s ind\u00e9fini de la connaissance\u00a0\u00bb et l’id\u00e9e que l’usage propre de la Raison est la condition n\u00e9cessaire et suffisante pour que nous devenions \u00ab\u00a0ma\u00eetres et possesseurs de la Nature\u00a0\u00bb (Descartes).<\/p>\n

(…) il n’y a pas de limites aux pouvoirs et aux possibilit\u00e9s de la Raison, et la Raison par excellence, du moins s’il s’agit de la res extensa<\/em>, est la math\u00e9matique : Cum Deus calculat, fiat mundus <\/em>(\u00ab\u00a0Au fur et \u00e0 mesure que Dieu calcule, le monde est fait\u00a0\u00bb, Leibniz). N’oublions pas que Leibniz ch\u00e9rissait \u00e9galement le r\u00eave d’un calcul des id\u00e9es.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 216 ; \u00ab\u00a0(…) -divers lemmes sur l’homme et la soci\u00e9t\u00e9, qui ont chang\u00e9 avec le temps mais qui tous impliquent soit que l’homme et la soci\u00e9t\u00e9 sont naturellement pr\u00e9destin\u00e9s au progr\u00e8s, \u00e0 la croissance, etc. (homo economicus, la \u00ab\u00a0main cach\u00e9e\u00a0\u00bb, lib\u00e9ralisme et vertus de la libre concurrence), soit-ce qui est beaucoup plus appropri\u00e9 \u00e0 l’essence du syst\u00e8me- qu’ils peuvent \u00eatre manipul\u00e9 de diverses mani\u00e8res pour y \u00eatre amen\u00e9s (homo madisoniensis Pavlovi<\/em>, \u00ab\u00a0ing\u00e9ni\u00e9rie humaine\u00a0\u00bb et \u00ab\u00a0ing\u00e9ni\u00e9rie sociale\u00a0\u00bb, organisation et planification bureaucratiques en tant que solutions universelles applicables \u00e0 tout probl\u00e8me).\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 227 ; \u00ab\u00a0Il serait \u00e9galement catastrophique de mal comprendre, mal interpr\u00e9ter et sous-estimer ce que le monde occidental a apport\u00e9. A travers et par-del\u00e0 ses cr\u00e9ations industrielles et scientifiques, et les \u00e9branlements correspondants de la soci\u00e9t\u00e9 et de la nature, il a d\u00e9truit l’id\u00e9e de physis<\/em> en g\u00e9n\u00e9ral et son application aux affaires humaines en particulier. Cela, l’Occident l’a fait moyennant une interpr\u00e9tation et une r\u00e9alisation, \u00ab\u00a0th\u00e9orique\u00a0\u00bb et \u00ab\u00a0pratique\u00a0\u00bb, de la \u00ab\u00a0Raison\u00a0\u00bb – interpr\u00e9tatrion et r\u00e9alisation sp\u00e9cifiques, pouss\u00e9es \u00e0 leur limite. Au bout de ce processus, il a atteint un lieu o\u00f9 il n’y a plus et il ne peut plus y avoir de point de r\u00e9f\u00e9rence ou d’\u00e9tat fixe, de \u00ab\u00a0norme\u00a0\u00bb.<\/p>\n

Dans la mesure o\u00f9 cette situation induit le vertige de la \u00ab\u00a0libert\u00e9 absolue\u00a0\u00bb, elle peut provoquer la chute dans l’ab\u00eeme de l’esclavage absolu. Et d\u00e8s maintenant, l’Occident est esclave de l’id\u00e9e de la libert\u00e9 absolue. La libert\u00e9, con\u00e7ue autrefois comme \u00ab\u00a0conscience de la n\u00e9cessit\u00e9\u00a0\u00bb ou comme postulat de la capacit\u00e9 d’agir selon la pure norme \u00e9thique, est devenue libert\u00e9 nue, libert\u00e9 comme pur arbitraire (Willk\u00fcr<\/em>). L’arbitraire absolu est le vide absolu ; le vide doit \u00eatre rempli, et il l’est avec des \u00ab\u00a0quantit\u00e9s\u00a0\u00bb. Mais l’augmentation sans fin des quantit\u00e9s a une fin -non seulement d’un point de vue ext\u00e9rieur, puisque la Terre est finie, mais d’un point de vue interne, parce que \u00ab\u00a0plus\u00a0\u00bb et \u00ab\u00a0plus grand\u00a0\u00bb n’est plus d\u00e9sormais \u00ab\u00a0diff\u00e9rent\u00a0\u00bb, et le \u00ab\u00a0plus\u00a0\u00bb devient qualitativementindiff\u00e9rent <\/em>. (Une croissance du P.N.B. de 5 % dans une ann\u00e9e signifie que, qualitativement, l’\u00e9conomie est dans le m\u00eame \u00e9tat que l’ann\u00e9e pr\u00e9c\u00e9dente ; les gens estiment que leur condition a empir\u00e9 si leur \u00ab\u00a0niveau de vie\u00a0\u00bb ne s’est pas \u00ab\u00a0\u00e9lev\u00e9\u00a0\u00bb, et n’estiment pas qu’elle s’est am\u00e9lior\u00e9e si ce \u00ab\u00a0niveau\u00a0\u00bb ne s’est \u00e9lev\u00e9 que suivant le pourcentage \u00ab\u00a0normal\u00a0\u00bb.) Tout cela, Aristote et Hegel le savaient d\u00e9j\u00e0 parfaitement. Mais, comme c’est souvent le cas, la r\u00e9alit\u00e9 suit la pens\u00e9e avec un retard consid\u00e9rable.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 228 ; \u00ab\u00a0Mais ce savoir peut nous aider beaucoup s’il nous rend capables de d\u00e9noncer et de d\u00e9truire l’id\u00e9ologie rationaliste, l’illusion de l’omnipotence, la supr\u00e9matie du \u00ab\u00a0calcul\u00a0\u00bb \u00e9conomique, l’absurdit\u00e9 et l’incoh\u00e9rence de l’organisation \u00ab\u00a0rationnelle de la soci\u00e9t\u00e9, la nouvelle religion de la \u00ab\u00a0science\u00a0\u00bb, l’id\u00e9e du d\u00e9veloppement pour le d\u00e9veloppement. Cela, nous pouvons le faire si nous ne renon\u00e7ons pas \u00e0 la pens\u00e9e et \u00e0 la responsabilit\u00e9, si nous voyons la raison et la rationnalit\u00e9 dans la perspective appropri\u00e9e, si nous sommes capables d’y reconna\u00eetre des cr\u00e9ations historiques de l’homme.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 232-233-234 ; \u00ab\u00a0Pourquoi rappeler, si vite et si mal, tout cela? Pour souligner le plus fortement possible que le paradigme de \u00ab\u00a0rationnalit\u00e9\u00a0\u00bb sur lequel tout le monde vit aujourd’hui, qui domine aussi toutes les discussions sur le \u00ab\u00a0d\u00e9veloppement\u00a0\u00bb, n’est qu’une cr\u00e9ation historique particuli\u00e8re, arbitraire, contingente. J’ai essay\u00e9 de le montrer de mani\u00e8re un peu plus circonstanci\u00e9e dans les paragraphes de mon rapport \u00e9crit relatifs \u00e0 l’\u00e9conomie, d’une part, \u00e0 la technique, de l’autre. J’ajouterai seulement ici que si ce paradigme a pu \u00ab\u00a0fonctionner\u00a0\u00bb, et avec l'\u00a0\u00bbefficacit\u00e9\u00a0\u00bb relative, mais n\u00e9anmoins terrifiante qu’on lui conna\u00eet, c’est qu’il n’est pas totalement \u00ab\u00a0arbitraire\u00a0\u00bb : il y a certes un aspect non trivial de ce qui est, lequel se pr\u00eate \u00e0 la quantification et au calcul ; et il y a une dimension in\u00e9liminable de notre langage et de tout langage qui est n\u00e9cessairement \u00ab\u00a0logico-math\u00e9matique\u00a0\u00bb, qui incarne en fait ce qui est, sous sa forme math\u00e9matique pure, la th\u00e9orie des ensembles. Nous ne pouvons penser \u00e0 une soci\u00e9t\u00e9 qui ne saurait pas compter, classer, distinguer, utiliser le tiers exclu, etc. Et en un sens, \u00e0 partir du moment o\u00f9 l’on comprend que l’on peut compter au-del\u00e0 de tout nombre donn\u00e9, toute la math\u00e9matique est virtuellement l\u00e0, et puis les possibilit\u00e9s de son application ; en tous cas, cette \u00ab\u00a0virtualit\u00e9\u00a0\u00bb est aujourd’hui d\u00e9velopp\u00e9e, d\u00e9ploy\u00e9e, r\u00e9alis\u00e9e, et nous ne pouvons ni revenir en arri\u00e8re, ni faire comme si elle ne l’avait pas \u00e9t\u00e9. Mais la question est de r\u00e9ins\u00e9rer cela dans une vie sociale o\u00f9 il ne soit plus l’\u00e9l\u00e9ment d\u00e9cisif et dominant, comme il l’est aujourd’hui. Nous devons remettre en cause la grande folie de l’Occident moderne, qui consiste \u00e0 poser la \u00ab\u00a0raison\u00a0\u00bb comme souveraine, \u00e0 entendre par \u00ab\u00a0raison\u00a0\u00bb la rationnalisation, et par rationnalisation la quantification. C’est cet esprit toujours op\u00e9rant (m\u00eame ici, comme l’a d\u00e9montr\u00e9 la discussion) qu’il faut d\u00e9truire. Il faut comprendre que la \u00ab\u00a0raison\u00a0\u00bb n’est qu’un moment ou une dimension de la pens\u00e9e, et qu’elle devient folle lorsqu’elle s’autonomise.<\/p>\n

Qu’est-ce qui est donc \u00e0 faire ? Ce qui est \u00e0 dire, ce qui se trouve devant nous, est une transformation radicale de la soci\u00e9t\u00e9 mondiale, qui ne concerne pas et ne peut pas concerner seulement les pays dits \u00ab\u00a0sous-d\u00e9velopp\u00e9s\u00a0\u00bb. Il est illusoire de croire qu’un changement essentiel pourrait jamais se produire dans les pays \u00ab\u00a0sous-d\u00e9velopp\u00e9s\u00a0\u00bb s’il ne se produisait pas aussi dans le monde \u00ab\u00a0d\u00e9velopp\u00e9\u00a0\u00bb ; cela est \u00e9vident \u00e0 partir de la consid\u00e9ration aussi bien des rapports \u00ab\u00a0id\u00e9ologiques\u00a0\u00bb. Si une transformation essentielle a lieu, elle ne pourra concerner que les deux parties du monde. Et une telle transformation politique <\/em>-que je ne peux pas concevoir, pour ma part, que comme l’instauration de la d\u00e9mocratie, d\u00e9mocratie qui actuellement n’existe nulle part. Car la d\u00e9mocratie ne consiste pas \u00e0 \u00e9lire, dans le meilleur des cas, tous les sept ans un pr\u00e9sident de la R\u00e9publique. La d\u00e9mocratie, c’est la souverainet\u00e9 du demos, du peuple, et \u00eatre souverain c’est l’\u00eatre vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Et la d\u00e9mocratie exclut la d\u00e9l\u00e9gation des pouvoirs ; elle est pouvoir direct des hommes sur tous les aspects de la vie et de l’organisation sociales, \u00e0 commencer par le travail et la production.<\/p>\n

L’instauration de la d\u00e9mocratie ainsi con\u00e7ue -et d\u00e9passant les formes de vie \u00ab\u00a0nationales\u00a0\u00bb du pr\u00e9sent- ne peut venir que d’un immense mouvement de la population mondiale, ce que l’on peut concevoir que comme couvrant toute une p\u00e9riode historique. Car un tel mouvement -exc\u00e9dant de loin tout ce que l’on a l’habitude de penser comme \u00ab\u00a0mouvement politique\u00a0\u00bb- ne pourra exister s’il ne met pas aussi en cause toutes les significations institu\u00e9es, les normes et les valeurs qui dominient le syst\u00e8me actuel et sont consubstantielles \u00e0 celui-ci. Il ne pourra exister que comme transformation radicale de ce que les hommes consid\u00e8rent comme important et comme sans importance, comme valant et comme ne valant pas-, bref une transformation psychique et anthropologique profonde, et avec la cr\u00e9ation parall\u00e8le de nouvelles formes de vie et de nouvelles significations dans tous les domaines.<\/p>\n

(…) La transformation sociale et historique la plus importante de l’\u00e9poque contemporaine, que nous avons pu tous observer pendant la derni\u00e8re d\u00e9cennie car c’est alors qu’elle est devenue vraiment manifeste mais qui \u00e9tait en cours depuis trois quarts de si\u00e8cle, ce n’est ni la r\u00e9volution russe, ni la r\u00e9volution bureaucratique en Chine, mais le changement de la situation de la femme et de son r\u00f4le dans la soci\u00e9t\u00e9. Ce changement, qui n’\u00e9tait au programme d’aucun parti politique (pour les partis \u00ab\u00a0marxistes\u00a0\u00bb, un tel changement ne pourrait \u00eatre que le sous-produit, un des nombreux sous-produits secondaires d’une r\u00e9volution socialiste), n’a pas \u00e9t\u00e9 fait par ces partis. Il a \u00e9t\u00e9 effectu\u00e9 de mani\u00e8re collective, anonyme, quotidienne par les femmes elles-m\u00eames, sans m\u00eame que celles-ci s’en repr\u00e9sentent explicitement les buts : sur trois quarts de si\u00e8cle, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, \u00e0 la maison, au travail,\u00e0 la cuisine, au lit, dans la rue, face aux enfants, face au mari, elles ont graduellement transform\u00e9 la situation. Cela, les planificateurs, les techniciens, les \u00e9conomistes, les sociologues, les psychologues, les psychologues, les psychanalystes non seulement ne l’avaient pas pr\u00e9vu, ils n’ont m\u00eame pas pu le voir lorsqu’il a commenc\u00e9 \u00e0 se dessiner.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 248-249 ; \u00ab\u00a0(…) dans l’\u00e9volution des magazines f\u00e9minins o\u00f9 \u00e0 la mythologie euphorique du bonheur (conseils d’amour et conseils domestiques qui assurent infailliblement le bonheur) succ\u00e8dent une probl\u00e8matique du bonheur (comment affronter le vieillissement, la maladie, la s\u00e9paration, la solitude, les malentendus avec les enfants) puis une revendication \u00e9mancipatrice ; on d\u00e9couvre que l\u00e0 o\u00f9 sont atteintes certaines conditions de bien-\u00eatre, se posent soudain des probl\u00e8mes existentiels jusque l\u00e0 masqu\u00e9s.<\/p>\n

(…) c’est non seulement que la croissance \u00e9conomique ne r\u00e9soud pas quelques-uns des probl\u00e8mes les plus fondamentaux des \u00eatres humains, mais c’est aussi que ce d\u00e9veloppement suscite et d\u00e9veloppe, si l’on peut dire, un sous-d\u00e9veloppement moral, affectif, psychologique. Il d\u00e9veloppe, en m\u00eame temps que ces possibilit\u00e9s d’\u00e9panouisement humain, des carences qui pr\u00e9cis\u00e9ment minent cet \u00e9panouissement.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 256 ; \u00ab\u00a0Mais, bien entendu, il ne s’agit pas que de la crise d’un concept. Il s’agit en m\u00eame temps d’une crise anthropo-sociale. Crise culturelle\/civilisationnelle. Crise de la croissance industrielle\/\u00e9conomique. Crise de la soci\u00e9t\u00e9 bourgeoise. L\u00e0 appara\u00eet \u00e0 la fois la v\u00e9rit\u00e9 et l’erreur de la pr\u00e9diction marxienne. La crise de la bourgeoisie est arriv\u00e9e, mais non sur le march\u00e9 mondial, non sous l’effet de la mont\u00e9e r\u00e9volutionnaire des masses ouvrie\u00e8res, mais crise interne, dans le principe culturel qui justifiait son h\u00e9g\u00e9monie et sa domination, dans son aptitude \u00e0 surmonter ses contradictions. Comme toujours, la crise de l’id\u00e9ologie et de la classe dominante est la crise des fondements m\u00eames de la soci\u00e9t\u00e9. Les notions de science, technique, rationalit\u00e9, qui semblaient \u00eatre les notions guides, contr\u00f4leuses, r\u00e9gulatrices, apparaissaient au contraire comme les notions aveugles, incontr\u00f4l\u00e9es, fabriquant de l’irrationalit\u00e9, irrationalit\u00e9 dont toujours la forme la plus extr\u00eame (parce que la mieux camoufl\u00e9e) a \u00e9t\u00e9 la rationalisation : rationalisation id\u00e9ologique (o\u00f9 l’on scotomise tout ce qui ne peut \u00eatre int\u00e9gr\u00e9 par le sch\u00e8me doctrinaire abstrait)…\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 258 ; \u00ab\u00a0Leurs solutions ne peuvent venir que de la conjonction d’une nouvelle conscience (dans la pens\u00e9e et dans l’action) et d’innovations surgies de l’inconscient m\u00eame du corps social.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 263 ; \u00ab\u00a0(…) ce sont les bases civilisationnelles et culturelles de notre soci\u00e9t\u00e9 qui se n\u00e9crosent, pr\u00e9cis\u00e9ment dans et par leurs d\u00e9veloppements.\u00a0\u00bb<\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":"

Le mythe du d\u00e9veloppement ouvrage collectif, Seuil, Paris, 1977. \u00ab\u00a0Et si le d\u00e9veloppement, cette \u00e9toile vers laquelle on voulait faire marcher les peuples du monde, n’\u00e9tait qu’un astre mort ? (…) Le \u00ab\u00a0d\u00e9veloppement\u00a0\u00bb, expression de la mystique industrielle, est entr\u00e9 en agonie…\u00a0\u00bb Les auteurs sont des penseurs de ce temps \u2026 Lire plus \/ Read more<\/a><\/p>\n","protected":false},"author":1,"featured_media":0,"parent":0,"menu_order":0,"comment_status":"closed","ping_status":"closed","template":"","meta":{"ngg_post_thumbnail":0},"_links":{"self":[{"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/pages\/875"}],"collection":[{"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/pages"}],"about":[{"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/types\/page"}],"author":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/users\/1"}],"replies":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=%2Fwp%2Fv2%2Fcomments&post=875"}],"version-history":[{"count":1,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/pages\/875\/revisions"}],"predecessor-version":[{"id":876,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/pages\/875\/revisions\/876"}],"wp:attachment":[{"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=%2Fwp%2Fv2%2Fmedia&parent=875"}],"curies":[{"name":"wp","href":"https:\/\/api.w.org\/{rel}","templated":true}]}}