
26 septembre 2006
Je suis bien sûr interpellé par les manifestations violentes et démesurées qui ont eu lieu en réaction dans le monde musulman. Je les désavoue, mais on peut les expliquer: la religion est peut-être le seul capital de ces hommes déshérités et, qui plus est, certainement manipulés.
Mais cela n'excuse rien et j'entends aussi des leaders d'opinion musulmans recommander de la sérénité au sujet de cette bourde diplomatique papale. La matière religieuse est inflammable, explosive, radioactive. On travaille avec les symboles. On est en droit d'attendre d'autorités spirituelles de faire preuve de la plus grande prudence. Benoît XVI aurait-il manqué de maîtrise?
J'ai un autre souci, en tant qu'observateur des relations interculturelles et de la connaissance interreligieuse. Il se fait actuellement un travail énorme. La connaissance de l'Autre progresse, des liens sont créés, le dialogue est ouvert, des ponts sont jetés et personne ne s'interdit de tenir un discours lucide et critique! La crise diplomatique déclenchée par Benoît XVI pourrait détruire en partie les décennies d'efforts consentis par Jean Paul II qui lui, du point de vue de la stature intellectuelle et politique, reste hors d'atteinte.
De manière plus générale, cette crise s'inscrit dans la logique de l'affrontement civilisationnel mis en place depuis la fin du communisme. Pendant septante ans, on a vécu dans l'affrontement Est-Ouest. L'islam est le nouveau repoussoir métaphysique, le bouc émissaire politique. Le messianisme de Bush, sa vision biblique des enjeux géopolitiques me paraissent particulièrement inquiétants. Depuis le 11 septembre, une véritable théocratie américaine s'est mise en marche avec des conséquences terribles en Irak, au Liban et en Palestine.
Toutes les traditions sont touchées. Il n'y a pas de monopole de l'intégrisme et de l'extrémisme. Rappelons-nous que le premier ministre israélien Yitzhak Rabin, artisan de la paix avec les Palestiniens, fut abattu par un extrémiste juif. Les intégrismes tout comme les mouvements populistes naissent d'un désarroi, d'une angoisse métaphysique qui exigent des réponses simples face à la complexité croissante du monde. La tentation du repli identitaire est d'ordre instinctif. Mais avec la foi et le sacré, on touche en plus à quelque chose de profond, qui est consubstantiel à l'homme.
Au-delà de cette crise, je reste persuadé que le monde musulman s'engage sur la voie de la sécularisation, mais selon un modèle différent de celui de l'Occident. Au sein même de ce qu'on appelle encore l'islamisme, il existe des tendances très diverses, dont la plupart ne sont plus révolutionnaires, qui se sont démocratisées, modérées et, oui, sécularisées! En Turquie, le gouvernement islamiste en est un exemple frappant.
De même, les élections législatives en Palestine récemment, et au Maroc prochainement, illustrent ce que je crois être une tendance de fond. A mon sens, l'Europe devrait favoriser les expressions démocratiques dans le monde musulman plutôt que de le voir comme un monolithe.»